Si les Rendez-Vous de l’histoire de Blois sont devenus pour le grand public un festival institutionnel, ils restent pour le SNES-FSU un moment important de formation syndicale et d’échange entre pairs : un rendez-vous militant.

Les collègues présents à Blois dans le cadre du stage national du SNES-FSU ont participé à une après-midi de formation syndicale. Les échanges, très attendus après de longs mois où il a été difficile de faire vivre le collectif, se sont orientés vers un bilan de la période pour nos pratiques professionnelles.

Discontinuité pédagogique

Le confinement a révélé que certains choix imposés précédemment aux équipes avaient rendu compliqué le travail à distance. Ainsi de l’abandon des manuels papier, qui auraient permis, si tous les élèves en avaient disposé, de les faire travailler sans recours systématique aux écrans, et de compenser un peu de fortes inégalités d’équipement.

Le numérique et le distanciel sont apparus comme chronophages et épuisants. Ils ont compromis certaines pratiques, comme les travaux de groupe, pour des raisons techniques, ou de par la moindre motivation des élèves isolés derrière leurs écrans.

On a constaté aussi la difficulté à faire travailler les élèves à l’écrit. Sans être à leurs côtés, comment les faire rédiger ? La réalisation de croquis en géographie, par exemple, s’est avérée plus hasardeuse, car il fallait pouvoir disposer d’une imprimante à domicile pour les fonds de carte. « Moi, ce qui m’a manqué, c’est la mise en récit et les interactions. Habituellement, je faisais beaucoup passer au tableau… À distance, c’était très difficile de mettre en place les cartes, les schémas… Ce que je pouvais envoyer était désincarné », rapporte un collègue.

Enfin, les participants se sont inquiétés de la perte de certains apprentissages. À distance, les élèves ont bien sûr « fait des choses », mais ils ont perdu, par exemple, l’habitude de mémoriser. Un éventuel retour à l’enseignement à distance inquiète. Il faudrait adapter nos pratiques à ce que les élèves ont vécu et vivent encore avec la crise sanitaire, mais comment y parvenir dans un cadre horaire aussi contraint et des programmes aussi chargés et rigides ?

Place aux femmes !

Les Rendez-Vous de Blois sont aussi l’occasion pour le SNES-FSU de s’inscrire dans une programmation scientifique. Il s’agit d’articuler engagement militant et recherche, et de réfléchir à la transposition des travaux les plus récents dans notre enseignement. Cette année, notre « carte blanche » a donc été organisée en partenariat avec l’association Mnémosyne (voir ci-contre). Souhaitant faire un pas de côté par rapport au thème de l’édition 2020, « Gouverner », nous avons choisi « le gouvernement du corps des femmes ».

Pour cela, trois historiennes étaient invitées : Véronique Garrigues, docteure en histoire moderne et spécialiste des femmes en armes, Nathalie Sage-Pranchère, historienne de la périnatalité et enfin Bibia Pavard, une des trois autrices de Ne nous libérez pas, on s’en charge. Une histoire des féminismes de 1789 à nos jours(1).

V. Garrigues a tout d’abord rappelé que la périodisation canonique de l’histoire est issue de catégories élaborées par des hommes, et doit à cet égard être interrogée et dépassée. Malgré la rareté des sources, l’historienne l’affirme avec certitude : les femmes sont partout à l’époque moderne, y compris dans les affaires militaires, dans les places fortes et même sur les champs de bataille.(2)

N. Sage-Pranchère déplace elle aussi les bornes ­chronologiques habituelles en abordant la question de l’obstétrique aux xviiie et xixe siècles. Dans un contexte nataliste, le corps de la femme enceinte devient une affaire d’État. Celui-ci construit une opposition entre d’une part la « matrone » et son œuvre destructrice, et d’autre part la sage-femme formée par les institutions publiques. La formation obstétricale normalise le corps de la femme enceinte et le moment de l’accouchement.

Enfin, B. Pavard porte ses analyses sur les années 1970 à travers la question de la contraception et de l’avortement. Le corps des femmes est sous un triple contrôle : familial, policier et judiciaire. La loi Neuwirth de 1967 autorise certes la contraception, mais de manière très restrictive et tarde à se mettre en place. La mobilisation féministe ne faiblit pas face à cette demi-victoire. Au contraire, reliant la question de la contraception et de l’avortement plus largement à l’oppression patriarcale, elle diversifie ses modalités de luttes : Manifeste des 343, contestation de la justice sur son propre terrain par des procès d’une portée politique (Gisèle Halimi à Bobigny), auto-formation des femmes sur le terrain des pratiques de contraception et d’IVG.

Les éclairages des trois historiennes ont suscité un grand intérêt, qui contraste avec le peu de place laissé à une « histoire mixte » dans notre enseignement. C’est bien pour cela que de tels moments de formation disciplinaire sont indispensables : pour nous permettre de nous emparer pleinement de notre liberté pédagogique.

Trois questions à Véronique Garrigues Docteure en histoire moderne, professeure en collège, militante du SNES-FSU et membre du conseil d’administration de Mnémosyne
Comment ton engagement dans l’association a-t-il changé tes pratiques ? J’ai découvert les activités de Mnémosyne alors que mes propres recherches s’orientaient vers l’histoire du genre. Le renouvellement des programmes en 2008 a été l’occasion de m’interroger sur leur silence concernant les femmes. Depuis, je traque les noms épicènes et la masculinisation des intitulés de l’histoire enseignée afin de sortir les paysannes, les ouvrières ou les reines des coulisses des textes officiels.
De quelles manières Mnémosyne participe-t-elle aux Rendez-Vous de Blois ? Il y a une table ronde à destination de tous les publics. Nous demandons à des spécialistes des quatre périodes historiques d’intervenir sur le thème des RDV, à partir d’un questionnement genré. Nous animons aussi un atelier pédagogique pour les collègues du secondaire. Il s’agit de montrer comment développer une histoire mixte dans ses cours (même quand les programmes s’y prêtent peu), à partir de dossiers documentaires et de mises au point scientifiques.
La rigueur scientifique et le militantisme ne sont donc pas incompatibles ? On ne peut séparer la chercheuse de la militante ! Enseigner, c’est transmettre un savoir maîtrisé en s’adaptant à son public. La recherche historique autour des femmes et du genre nécessite de savoir poser un regard distancié et souvent décalé sur ses propres connaissances. Il est donc essentiel d’être aussi rigoureuse et précise qu’accessible auprès du plus grand nombre.
Mnémosyne Le SNES-FSU milite pour que les programmes soient en lien avec l’évolution de l’historiographie et de l’épistémologie de la géographie. Parmi les angles morts des programmes au regard des évolutions de la société comme de la recherche, on peut citer la place des femmes. D’où la volonté de travailler avec l’association Mnémosyne. Celle-ci a été créée en 2000, pour promouvoir l’histoire des femmes et du genre à tous les niveaux d’enseignement, en organisant des journées d’études et des colloques. Elle publie dans sa revue en ligne Genre&Histoire les travaux des chercheurs et des étudiants participant ainsi au renouvellement historiographique sur l’histoire des femmes et du genre. Enfin, Mnémosyne c’est un prix, décerné depuis 2003, qui récompense chaque année un mémoire de master portant sur l’histoire des femmes et du genre, et lui permet d’être publié aux Presses universitaires de Rennes.
Les rendez-vous de l’histoire de blois constituent un lieu d’échanges et de rencontres essentiel à la vie de cette discipline. Avec mille intervenants, quatre cents débats et conférences, ces rendez-vous sont aussi une manifestation populaire qui accueille près de quarante mille personnes.

1. Bibia Pavard, Florence Rochefort et Michelle Zancarini-Fournel, La Découverte, 2020.

2. Véronique Garrigues conseille ainsi la lecture de Jóhanna Katrín Friðriksdóttir, Les femmes viking, des femmes puissantes, Autrement, 2020.


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