Intervention de Julien Netter pour la FSU le 19 septembre 2017
Julien Netter est membre du groupe ESCOL (Éducation et scolarisation, Université Paris 8) et enseigne à l’ ESPE de Créteil.
Que sont les devoirs ?
Les devoirs sont vieux comme l’école. On a des tablette d’argile de Sumer avec un scribe expliquant comment il faut préparer ses tablettes. Ils sont liés à la forme scolaire. Plus récemment, depuis le début de l’école républicaine qui est un milieu très fermé, les devoirs sont une des seules choses qui circulent entre école et maison. Pour le lycée, ils sont liés au déclin de l’internat et à la suppression des répétiteurs, renvoyant à la maison ce qui se faisait au lycée. Dès la fin du XIXème, les inspecteurs du primaire s’inquiètent de la surcharge de travail donnée aux enfants.
L’idée qui sous-tend les devoirs est la bonification. Réviser ou utiliser des notions vues en classe pour les bonifier, les savoir mieux. Au retour à l’école : la notion a été bonifiée, on peut construire dessus.
Est-ce que cela marche ? Pas de recherche en France là-dessus. Mais il y a des méta-recherches américaines. Harris Cooper (publications de 1989 et 2006), très favorable aux devoirs, voulait montrer leur bénéfice. Sa 1ère enquête montre un lien entre avoir beaucoup de devoirs et être bon élève. En 2006, il montre que la corrélation ne veut pas dire que quand on a plus de devoir on devient meilleur. C’est peut-être que l’on donne plus de devoirs aux meilleurs élèves. Aucune des recherches ne peut établir de lien de cause à effet entre les devoirs et les résultats des élèves.
Les problèmes que les devoirs peuvent poser aux enfants comme aux parents
Une des raisons principales que les enseignants donnent de l’échec des enfants est : ils ne travaillent pas, l’autre est qu’ils ne sont pas aidés à la maison. Raisons à démystifier.
Un travail de recherche pour une municipalité du nord de Paris mettant des moyens sur l’aide aux devoirs, et ne voyant pas d’amélioration des résultats des élèves a montré que :
Quand on donne des devoirs aux élèves, ils travaillent. Même ceux qui ne comprennent rien à ce qu’ils font. Le problème n’est donc pas de quantité de travail. Cf les travaux de Christine Félix (collège et lycée) : un travail considérable est réalisé par les élèves, y compris ceux en difficulté et qui y passent beaucoup de temps sans comprendre ce qu’ils font. Ce travail est considérable mais inefficace. Cependant les profs sont persuadés que les élèves qui ont de mauvais résultats ne font rien chez eux.
la compréhension des consignes pose problème. Même celles qui paraissent simples aux enseignants qui les prescrivent sont complexes. Exemple : Apprendre la leçon. Par cœur ? La lire et la comprendre ? Être capable de redire la leçon avec ses propres mots ? L’avoir comprise de façon à être capable de l’exploiter pour des exercices derrière ? En général, il s’agit d’un mélange des 4. Les élèves sont souvent complètement perdus.
la compréhension des notions pose problème, et en ce sens les devoirs renforcent les inégalités). Si une notion pas comprise en classe, l’enfant ne pourra pas la comprendre seul à la maison.
ce qui est attendu par l’école n’est pas compris : le travail de lien permanent entre des notions et l’application de ces notions. Face à un exercice : à quoi ça fait appel ? Face à une notion : que recouvre-t-elle dans la réalité ? Pour les enfants, faire un exercice, c’est avant tout travailler. Faire une tâche et la terminer.
Et de plus il y a des éléments aggravants :
La fatigue le soir. Les enfants ne sont plus en état de faire des choses difficiles. Ils veulent s’acquitter de leur tâche. Les plus en difficulté travaillent le plus longtemps.
Les tensions de la journée : beaucoup plus présentes en REP+ que dans les beaux quartiers.
La nature des devoirs. Une analyse de cahiers de textes de CE1 a montré que dans 80%, il y a soit une leçon, soit un exercice, soit les deux n’ayant rien à voir l’un avec l’autre. N’amène pas à faire le lien notion / exercice, ce qui n’aide pas les enfants.
La quantité de travail : variable suivant les établissements et écoles, les enseignants, les jours. Certains enfants ont plus de 10 tâches à faire du jour pour le lendemain. Somme délirante dont les enseignants ne se rendent pas compte.
Pour le collège et le lycée : au fur à mesure de leur parcours scolaire, les enfants s’habituent à travailler chez eux. Ils connaissent les prescriptions institutionnelles : apprendre la leçon en premier etc. mais le font de façon inefficace.
Dans les familles : travaux de Pierre Perrier. Le rapport des familles à l’école a beaucoup changé depuis le début du XXème. Elles subissent une injonction au partenariat, on leur demande de suivre la scolarité de leurs enfants. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Essentiellement suivre les devoirs. Or tous ne sont pas en mesure de le faire. La « didactique familiale » qui se développe peut être totalement contreproductive. On est loin de l’idée de démission des parents. Ils veulent tous la même chose, que leur enfant réussisse à l’école, mais certains arrivent à les aider mieux que d’autres.
La mallette des parents sur l’académie de Créteil repose sur ce principe. On fait venir les parents dans l’établissement et on leur dit comment accompagner la scolarité de leur enfant. Ce dispositif a été évalué par l’école d’économie de Paris : il y a amélioration des comportements (réduction de l’absentéisme etc.) mais pas des résultats scolaires. Donc la mallette ne démocratise pas. Que les parents soient hyper investis ou pas, ce qui compte c’est le travail scolaire.
Pourtant, les parents (les mères très majoritairement) aident massivement leurs enfants. 1h / jour d’école en primaire (chiffres étude INSEE, 2004, M. Gouyon). Moins les femmes sont diplômées, plus elles passent de temps à aider leurs enfants à faire leurs devoirs. Statistiquement, comme elles ont moins de diplômes, leurs enfants sont plus en difficulté, et passent plus de temps à faire les devoirs.
Solution ? L’aide aux devoirs ?
Dans les écoles primaires, les études datent e de l’école républicaine, développées dans les villes pour éviter que les enfants ne trainent. Elles sont assez vite confiées aux instituteurs.Elles servait à préparer ce qui serait fait le lendemain. Dans les collectivités territoriales de nos jours, ce sont les associations…. Multiplication des acteurs et des profils.
Globalement : le résultat est nul. On ne constate pas d’amélioration de la réussite scolaire, avec quelques nuances selon le genre et le niveau. Aurait-elles un autre but, celui d’éviter aux enfants de traîner dans la rue ?
Pourquoi des résultats scolaires décevants ?
Le statut des encadrants a un poids non négligeable. Si un prof de français encadre des devoirs de SVT : problème de compétence. S’il s’agit d’un AED ou d’un médiateur : cela n’est pas évident non plus. Les animateurs n’ont souvent pas le bac.
Tout le monde est fatigué, y compris les encadrants, qui ont la même optique que les élèves : l’acquittement de la tâche et non pas la remédiation.
La quantité de difficulté. Si l’étude comprend 20 élèves qui ont fini rapidement et très bien, ça va. Mais si ce sont 12 élèves qui n’ont rien compris : la gestion est impossible.
Aider des enfants à faire leurs devoirs requière des gestes professionnels qui ne sont pas évidents et qui ne sont pas les mêmes que pour enseigner : être persuadé de l’éducabilité (beaucoup d’encadrants baissent les bras) ; arriver à comprendre les erreurs des enfants, ce qui n’est pas du tout facile. Dans la classe, on comprend globalement les erreurs, en aide aux devoirs, c’est individuel, différent ; avoir de la souplesse d’esprit pour lier notions et exercices ; avoir des techniques d’enseignement de ces notions. Ces 4 gestes ne sont pas si faciles à rassembler.
Quand est-ce que cela marche ?
Quand des élèves sont déjà forts en classe et qu’ils sont encadrés par des personnes très performantes, il y a des bénéfices. Pour les élèves en difficulté, il faut plus d’un temps court, d’un dispositif extérieur, pour construire ce qui demande le temps long de la classe.
Pourquoi est-ce que tout cela continue ?
Les devoirs sont officiellement interdits depuis 1956 à l’écrit dans les écoles primaires. Les leçons sont autorisées, qui n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Ce qui est autorisé est maintenant le plus dur, ce qui est interdit le plus facile.
Les devoirs sont un compromis social qui satisfait les parents (il voient ce qui se passe dans l’école, cela permet de suivre la scolarité des enfants). Les enseignants, cela leur permet de montrer leur sérieux. Et cela fait vivre du monde, beaucoup d’argent circule. Compromis contraignant, qui coûte un argent qui serait sans doute mieux investi dans les classes.
L’aide aux devoirs est justifiée par une question de justice. Mais que permet-elle ? Seulement aux devoirs de subsister. Les devoirs permettent de ne pas traiter les difficultés en classes. Les difficultés trop importantes sont rejetées hors la classe et renvoyées vers les familles. Par cascade, l’aide aux devoirs permet de ne pas trop remettre en question ce qui se passe dans la classe.
Finalement, les devoirs servent certains parents. Le système scolaire est unifié, mais le fait d’externaliser une partie des devoirs permet de rétablir une sélection faite en délégant une partie à la famille. On réintroduit ainsi la reproduction (au sens de Bourdieu) dans l’école.
Que faire ?
Traiter les problèmes dans la classe et non dans des dispositifs extérieurs. Les devoirs mettent bien en lumière les difficultés des élèves. Mais il vaudrait mieux les traiter dans la classe.
S’il doit y avoir de devoirs, il est peu logique d’autoriser ce qui est le plus dur. Réfléchir à ce qui est faisable par tous les élèves : s’exercer par exemple.
Si de l’aide aux devoirs est installée : l’idée de Devoirs faits est probablement la moins bonne des idées pour ce type de devoir. Amène à se focaliser sur l’acquittement de la tâche, et non sur la reprise des notions. Privilégie le court terme de la satisfaction de la famille et des collègues au long terme de la réussite scolaire.
Bibliographie/sitographie
Netter, J. (2015). « La circulation des cartables. Entre école et familles, l’étape de l’étude », in Patrick Rayou (dir.), Aux frontières de l’école, Saint Denis : Presses Universitaires de Vincennes, p. 215-235.
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