Ce document est une sorte de feuille de route pour la politique du numérique du MEN jusqu’à la fin du quinquennat.

On s’étonnera d’emblée que les auteurs d’un tel document ne soient pas mentionnés, pas plus que les personnes qui ont été auditionnées ou consultées pour sa réalisation, ni la moindre lettre de mission ou présentation méthodologique, pas plus qu’une bibliographie ou sitographie. De troublants oublis pour un document officiel stratégique, qui rappellent les caractéristiques du rapport rédigé par McKinsey sur l’évolution du métier enseignant1.

A défaut d’auteurs, on sait que le document a été élaboré par la Direction du numérique éducatif (DNE) sous la houlette de son directeur Audran le Baron. On en connaît aussi le propos principal : il faut « accélérer la transformation numérique » du système scolaire, dans toutes ses dimensions. En ce sens, cette SNE est dans la droite ligne de rapports qui s’enchaînent et s’empilent depuis plus de 30 ans maintenant2. Et comme tous les précédents rapports, la SNE entend clarifier une situation très confuse.

Il est vrai que la politique du numérique éducatif est souvent illisible, fragmentée entre différents acteurs publics parmi lesquels on trouve le MEN (et les Rectorats, DSDEN, régions académiques…), mais aussi les collectivités, la Caisse des Dépôts/Banque des territoires et même les écoles et établissements scolaires du secondaire. L’éparpillement et la superposition partielle des compétences entre ces différents acteurs conduisent à une indéniable méconnaissance de la réalité des équipements présents dans les classes, de leur utilisation ou encore de la dépense publique globale qu’ils ont nécessitée. Ce panorama est d’autant plus complexe à dresser que des acteurs privés sont associés de manière croissante à l’élaboration et à la décision dans le champ de la politique numérique éducative, souvent sous forme peu lisible de partenariats public-privé3.

L’objectif affiché de la « stratégie numérique » est donc de permettre plus de cohérence et de lisibilité dans ce maquis. Mais au service de qui seront mises en œuvre cette cohérence et cette lisibilité ? Celui des enseignant·es, des élèves et des parents ? Ou celui d’autres acteurs ?

Des défis et des objectifs

Le document se présente comme structuré autour de quatre « défis majeurs » :

1. Un écosystème engagé au service d’une politique publique engagée

2. Un enseignement du numérique qui développe la citoyenneté et les compétences numériques

3. Une communauté éducative soutenue par une offre numérique raisonnée, pérenne et inclusive

4. De nouvelles règles du jeu pour un système d’information ministériel au service de ses utilisateurs

Ces « défis » sont eux-mêmes déclinés en 16 items puis en près de 40 « objectifs » censément plus concrets. Il serait fastidieux de tous les passer en revue ici de manière critique. On se contentera de quelques exemples pour en éclairer la dimension tout à la fois vague (sinon absconse), redondante et contradictoire.

Imprécisions et répétitions

Les défis (« Un écosystème engagé au service d’une politique publique partagée»), les items les déclinant (« 10. Accompagner les enseignants dans le numérique éducatif ») ou encore les objectifs («En lien avec les évolutions du collège, renforcer les compétences numériques des élèves ») sonnent comme des phrases creuses, de vagues slogans marketings. Quant au corps du texte, il est très répétitif et s’apparente à un rapiéçage d’éléments sans articulation logique, comme copiés-collés de sources diverses. Que vient faire par exemple le paragraphe sur la EdTech dans cette « démonstration » (p. 12) ?

Le site du MEN affirme que la SNE « détaille les mesures avancées par le Ministère »4. La réalité du texte est tout autre :

– On s’étonne que soit présenté comme un objectif le fait que « 100 % des élèves de collège, et une majorité d’élèves de lycée, bénéficient chaque année, d’une action d’éducation aux médias et à l’information (EMI), d’ici à 2027 » ? L’EMI existe déjà pour tous les niveaux et, d’une manière ou d’une autre, c’est bien plus d’une action par an à laquelle ont d’ores et déjà droit les élèves grâce à leurs enseignant·es, au collège et au lycée. Pourquoi annoncer ainsi une non-nouveauté ?

– Inversement, comment comprendre que l’annonce d’une généralisation de Pix en 6e à la rentrée 2024 (p. 23) ne soit pas listée dans les objectifs ?

– Doit-on attendre une mise en œuvre effective et opératoire d’«une feuille de route pour le développement de communs numériques »5 ? La formulation promet une longue attente : et pourquoi pas un « rétrocalendrier de réunions prévoyant la mise en place d’éléments permettant l’élaboration d’une feuille de route visant à co-développer des projets dans lesquels la possibilité d’un développement des communs puisse être envisagée » ?

– Que signifie l’objectif : « Réduction de 10 % de la consommation énergétique du numérique du ministère d’ici à 2024 (à périmètre constant) » ? Qu’est-ce qui est ici désigné comme « le ministère » ? que peut bien signifier « à périmètre constant » ? Comment sera mesurée cette « consommation énergétique du numérique » et son éventuelle réduction ?

– Est-il bien raisonnable d’avoir mis sur le même plan (« objectifs ») d’une part « une cartographie des tiers lieux et des communautés actives partagée en open data » et d’autre part « l’expérimentation d’un « compte ressources » pour les enseignants, dès la rentrée 2024, en mode « startup d’État »» – mesure très concrète et centrale dans les intentions ministérielles comme nous le verrons ensuite ?

Quand on regarde la quarantaine d’objectifs proposés par la SNE, loin d’une présentation claire de mesures, on voit plutôt un écheveau de formulations imprécises, répétitives et peu hiérarchisées.

Contradictions en série

On devine les rédacteurs et rédactrices du document tiraillé·es entre intentions contradictoires.

– Ainsi, il est annoncé que le « dispositif Pix 6e sera généralisé à la rentrée 2024 » alors même que le ministère vient de supprimer l’enseignement de la technologie sur le même niveau…

– Dans une même phrase on peut lire qu’à « l’école élémentaire, l’enjeu est à la fois de minimiser l’exposition aux écrans et de développer l’aisance au numérique, en lien avec le renforcement des savoirs fondamentaux en mathématiques ». Comment envisage-t-on concrètement de « minimiser » l’exposition aux écrans tout en développant « l’aisance au numérique » ? La contradiction est d’autant plus flagrante que le texte précise que cette aisance concerne bien l’usage des « outils numériques », auxquels il faudrait donc confronter souvent les élèves. On peut aussi s’étonner que les auteurs et autrices de la SNE ignorent les études récentes montrant que des outils comme Scratch ne permettent pas de s’améliorer en mathématiques6.

– De même, alors que ce document juge nécessaire la sensibilisation des élèves à « la protection des données personnelles », pas une seule fois il ne souligne le danger représenté par des industriels du numérique, qui fondent pourtant leur modèle économique sur la prédation des données (notamment celle des élèves). Pire encore : on ne trouve aucune mention du RGPD dans l’entièreté du document ! Comment dès lors ne pas s’inquiéter en trouvant souligné à plusieurs reprises la nécessité d’une circulation ou d’un partage des données scolaires entre acteurs publics et privés dans ce document ainsi que dans la « doctrine technique du numérique » qui l’accompagne ?

Il s’agit donc d’organiser le partage et la valorisation des données de l’éducation qu’elles soient détenues par des acteurs publics, privés, associatifs, individuels ou économiques, à partir du moment où ces données profitent à l’intérêt général. La plateforme garantira la protection des données personnelles [SNE, p. 31]

Ce cadre d’architecture et ces règles communes, qui doivent faciliter la circulation des données entre les acteurs publics et privés, sont rassemblées dans la présente « doctrine technique du numérique dans l’éducation [doctrine technique, version de travail, p. 7]

– On s’étonne enfin qu’un même document puisse appeler à « définir un équipement individuel type pour l’élève (collège et lycée) », tout en louant « la sobriété des usages » à toutes les échelles et en soulignant les nombreux « risques numériques » : vols de données, harcèlement, contenus choquants, fausses informations, etc. Plus un danger est grand, plus il serait nécessaire d’y exposer nos élèves ? Les emmènera-t-on faire un footing quotidien sur l’autoroute pour être certains qu’ils en connaissent les dangers ? Mettra-t-on de l’amiante dans les bâtiments scolaires pour qu’ils sachent précisément sa nocivité (non, personne n’oserait faire cela) ?

L’école sera numérique ou ne sera pas

L’ensemble de la « stratégie », fidèle en cela aux politiques menées depuis 30 ans au moins, ne fait que vanter une évolution inéluctable et jamais interrogée. Déjà François Mitterrand à l’heure de parler du numérique en éducation l’affirmait sans détours : « Peu importent les oppositions, il faut que cela soit fait »7. Quand il s’agit de numériser l’école ou de « réformer » notre système de protection sociale, il n’y pas d’alternative. C’est un futur impératif.

Tout le texte de la SNE et les discours qui l’accompagnent vont en ce sens. Il faut soutenir l’accélération et la transformation numériques, favoriser l’acculturation des professionnels, des élèves et des parents. La numérisation est en marche, elle se saisit du monde dans sa globalité et le rôle de l’école ne peut être que de « l’accompagner » comme le dit le Ministre dans ses mots d’introduction. La numérisation serait donc un processus naturel si puissant qu’aucune politique ne pourrait même tenter de le contrôler.

Dès lors, les considérations de ce document stratégique sur les « risques numériques », sur la « sobriété » ou sur le respect de la « liberté pédagogique » ressemblent fort à des concessions de façade. Certes, il y a des dangers cognitifs, sanitaires, civiques ou environnementaux à cette numérisation mais on n’a pas le choix, il faut numériser quoi qu’il en coûte.

Le fruit d’une étrange concertation

S’il n’y a dans le fond aucune alternative possible à celle défendue par le Ministère, la SNE est pourtant présentée comme l’œuvre d’une vaste et longue concertation. Celle-ci aurait débuté avec les États Généraux du Numérique de novembre 2020, suivis du « Grenelle de l’éducation » en 2020-20218. Deux moments de concertation si approfondie que leurs conclusions sont identiques à celles du rapport McKinsey, payé 500 000 euros par l’État et ayant « surtout eu pour objet d’argumenter en faveur des positions du Ministère (…) sans consulter la communauté enseignante », comme nous le rappelle un rapport sénatorial9.

Pour illustrer cet esprit sincère de concertation, rappelons quelques éléments de chronologie :

– le 27 janvier 2023, le Ministre présente publiquement la SNE via communiqué de presse et le met en ligne à la même date10 ;

– le 15 juin 2023, près de six mois plus tard, la SNE est enfin présentée au Conseil Supérieur de l’Éducation (CSE) ! Ce dernier étant une « instance consultative appelée à émettre des avis sur les objectifs et le fonctionnement du service public de l’éducation », comme le rappelle le site du Ministère lui-même11. Six mois entre la présentation d’un document final à la presse et sa discussion devant une instance consultative, voilà une magnifique forme de co-construction a posteriori.

Certes le Ministère a présenté sa « doctrine technique » lors d’un CSE en décembre 2022. Mais à ce moment là, il n’a pas été fait mention une seule fois de l’existence d’un autre document, qui serait bientôt publié. Les échanges se sont cantonnés à une approche très technicienne, esquivant les enjeux politiques majeurs qu’aurait pu soulever la présentation de la stratégie numérique.

Pourtant, cette dernière revendique « une participation active des acteurs de l’Éducation : l’État et ses opérateurs, les collectivités territoriales, les éditeurs et les entreprises de l’EdTech, les associations de parents, d’élèves et d’enseignants à ces travaux, tout au long de l’année 2022 » ! Aucune mémoire de cette « participation active » au cours de l’année 2022 du côté syndical, pourtant. Le document précise, en note de bas de page que cette consultation s’est faite sous « la forme d’ateliers, de visites dans les établissements, d’échanges lors des événements Ludovia ou Educatech expo, soit plus de 70 rencontres. »

Une « visite ministérielle » en collège ou en lycée serait un moment de concertation ? Quand on sait qu’il n’est pas rare que les murs soient repeints à l’occasion du passage d’un·e ministre, on peut douter de la sincérité des échanges qui l’accompagnent. C’est donc plutôt vers les ateliers ainsi que vers Ludovia et Educatech qu’il faut se tourner pour comprendre.

Educatech ou les noces du MEN et du marché

Si Ludovia et Educatech sont deux grands moments de promotion des discours ministériels et des intérêts des marchands du numérique éducatif de plus en plus similaires, nous laisserons de côté Ludovia pour le moment, pour nous intéresser à Educatech12.

Il y a plus de 25 ans, des « professionnels du numérique éducatif » ont lancé cette foire de promotion de leurs intérêts économiques, prenant toujours soin de prétendre « débattre et construire collectivement le futur de l’éducation ». Ce « salon » autrefois appelé Educatec-Educatice a pris en 2022 le titre plus disruptif de Educ@Tech Expo13. A quel titre des entrepreneurs privés seraient-ils légitimes à donner leur avis sur le fonctionnement quotidien du service public d’éducation ? Comment des acteurs privés, persuadés qu’il est nécessaire de faire de l’éducation un marché seraient-ils légitimes à parler d’un bien commun ? Demande-t-on à un colloque de renards de se concerter sur l’avenir du poulailler ?

C’est l’institution (ministère et académies) ainsi que les collectivités qui ont œuvré à légitimer ces acteurs privés en acteurs centraux, sinon en décisionnaires. Très rapidement en effet, rectorats, inspections et ministères ont apporté leur caution à ces événements, apportant leur soutien le plus explicite en se rendant sur place14. Il semble devenu aussi impensable pour un Ministre de l’Éducation naitonale de ne pas aller à Educatech ou à Ludovia, qu’à un premier ministre de pas aller aux Universités d’été du MEDEF.

En 2022, Educ@Tech Expo a eu lieu du 30 novembre au 2 décembre. Symboliquement, quand le Ministre Pap Ndiaye s’y est rendu, il a commencé sa visite par « le village des startup »15. Tout aussi symboliquement, le 30 novembre, dans le grand amphithéâtre, se sont succédé sur les mêmes sièges des représentants de Google, de Microsoft et du Ministère.

Lorsque vient le tour du Ministère, il est représenté par Audran Le Baron, Directeur du Numérique Éducatif (DNE), venu dans une plénière intitulée : « partage de la vision stratégique du numérique pour l’éducation ». Nous sommes le 30 novembre, soit deux mois avant la publication de la stratégie numérique, et huit mois avant sa « discussion » avec les représentants du personnel.

Une banale table ronde ?

Cette table ronde rassemble, on nous le dit et on nous le répète à la tribune «tous les acteurs les plus importants de l’éducation ». On y trouve en effet le Ministère par son DNE, Mylène Raam chargée de mission pour le numérique éducatif pour l’Avicaa (association « des collectivités engagées dans le numérique »)16, Celia Rosentraub, Présidente de l’Association Les éditeurs d’éducation et enfin Anne-Charlotte Monneret, présidente du lobby EdTech France17. Voilà pour les « acteurs principaux de l’éducation ». Et les enseignant·es ? Non, pas les enseignant·es, ni les autres personnels de terrain, au mieux confinés, dans les interventions au statut de « bénéficiaires » ou encore « d’utilisateurs »18. C’est d’ailleurs ce que confirme la page du MEN présentant la SNE en séparant d’une part les « acteurs » décisionnaires : Ministère, collectivités et Edtech, d’autre part les « bénéficiaires » : élèves, parents et personnels19.

Revenons à notre table ronde. On y apprend beaucoup. Beaucoup plus que lors des réunions du MEN avec les organisations représentantes du personnel :

– La concertation pour co-élaborer la SNE a commencé au printemps 2022, entre véritables acteurs de l’éducation (sans enseignant·es), avec plus de 60 ateliers, en bilatéral ;

– Le document n’est pas encore finalisé nous dit-on, mais on y trouve déjà tous les défis, et enjeux du rapport. L’ensemble est quasi bouclé autour des principales mesures annoncées, comme le « compte-ressources ». Le document est quasiment bouclé et le Conseil supérieur de l’Éducation ne sera informé que huit mois plus tard !

– Ministère, EdTech, éditeurs et collectivités se tutoient et se congratulent à l’idée « d’alléger les tâches » des enseignant·es grâce au numérique. Ainsi, Celia Rosentraub nous explique que le cœur de son métier est « d’élaborer des cours », tâche bien trop lourde pour les enseignant·es qui ont pour mission de « différencier ». Et la même insiste, quand sont évoqués les communs : « les communs, ça n’existe pas ou peu (…) pourquoi y consacrer du temps et de l’argent alors que les enseignants veulent du temps, que la EdTech et les éditeurs leur feront gagner ! ». On s’émerveille de voir ces gens si experts se concerter pour redéfinir nos métiers, entre « acteurs ».

Au cours de cette table ronde, l’idée de la nécessité de construire un « temps long » revient à plusieurs reprises. On nous explique que ce temps long est nécessaire pour les enseignant·es – c’est juste. Mais ajoute-t-on, ce temps long est surtout vital pour les acteurs réunis à la tribune. Il nous faut « une politique pérenne » pour nous permettre « un passage à l’échelle » lance A.-C. Monneret. « Nous avons besoin de ce temps long nous sommes des entreprises privées et nous devons planifier nos investissements » insiste Celia Rosentraub. Autour de cette table ronde, collectivités, éditeurs et EdTech sont réunis autour du DNE pour lui demander la même chose, des garanties financières, la certitude de profits à venir. Et c’est de ça qu’ils ont discuté depuis le printemps, entre « acteurs ».

C’est ici que l’idée du « compte-ressources » joue un rôle central qu’il nous faut expliquer. L’idée est simple et séduisante : les enseignant·es, individuellement ou en équipe pourront, via leur ENT, avoir un accès direct à un ensemble de ressources qu’ils pourront choisir à leur guise, de manière sécurisée. Et parmi ces ressources, on trouverait, mis sur le même plan, des « communs » et les ressources « éditorialisées et travaillées » des éditeurs et de l’EdTech. Pour le plus grand bonheur des enseignant·es affirme, sincèrement émue, A.-C. Monneret : « Aujourd’hui l’enseignant dans sa salle de classe, quand il a besoin d’un outil numérique (…) et qu’il n’a pas le budget (…), il va l’acheter sur ses deniers personnels ». On admire l’empathie. Mais on la met un peu à distance quand la même personne concède, au détour d’une phrase, que le compte-ressources va aussi « permettre de fluidifier l’achat des ressources numériques et créer les conditions d’apparition d’un vrai marché ». Tout le monde approuve gravement en tribune. Notamment le DNE, représentant du service public. Le même qui, au micro de Ludovia, n’hésitait pas à lancer que la stratégie numérique, notamment par le compte ressources va permettre « d’entretenir le marché de l’EdTech qui va pouvoir continuer d’innover en continuant d’avoir des budgets d’innovation et de R&D qui s’appuieront sur l’achat de ressources pérennes et stables par les enseignants »20.

Quant à la liberté pédagogique, à la sécurité des données, à la pédagogie, aux métiers, au service public, tout ça, comme le dit avec panache la représentante de la EdTech, c’est comme la sobriété « c’est d’actualité mais […] il ne faut pas que cette réflexion freine l’accession (sic) au numérique par tous les territoires, par tous les enseignants, par tous les élèves ».

Vendre partout, beaucoup, à toutes et tous…. Si on y regarde bien, les « acteurs » de la stratégie du numérique éducatif semblent en être les premiers et seuls véritables « bénéficiaires ». Quant aux soi disant « bénéficiaires » que sont les élèves, les parents et les enseignant·es, ils sont avant tout des clients.

Conclusion

Reprenons dans un tableau synthétique les objectifs du rapport

Formulation du MENTraduction à l’usage des personnels
Un écosystème engagé au service d’une politique publique partagéeUn ministère qui engage des ressources publiques au service d’ intérêts privés
Un enseignement du numérique qui développe la citoyenneté et les compétences numériquesAccélérer l’acculturation et la dépendance numérique des élèves : clients captifs et futur·es travailleurs et travailleuses acceptant le management par le numérique
Une communauté éducative soutenue par une offre numérique raisonnée, pérenne et inclusiveImposer aux enseignant·es le recours à un marché de plus en plus envahissant de produits numériques les dépossédant de leur métier, au profit du management, de la casse du service public et des intérêts de la EdTech
De nouvelles règles du jeu pour un système d’information ministériel au service de ses utilisateursUn Ministère qui offre clés en mains (en termes techniques et juridiques notamment) les opportunités d’une extension de la logique marchande dans l’éducation.

Il faut noter pour terminer que la présentation de la Stratégie du numérique pour l’éducation en juin 2023 au Conseil supérieur de l’éducation a entraîné la demande de certaines organisations, dont le SNES-FSU, de ne pas être oubliées dans les futures « concertations ». Ainsi ces dernières sont-elles invitées à une série « d’ateliers » pour échanger à l’approche des « 1 an » de la stratégie, ceci afin « d’ajuster » certaines actions. Le SNES-FSU sera vigilant dans ces ateliers sur la défense du service public et de ses métiers.

1 Les rapports similaires consultés ont tous a minima des auteurs identifiés.

2 Un des premiers rapports est celui de MM. Claude Pair et Yves Le Corre, remis à Alain Savary le 15 octobre 1981 qu’on trouve ici https://edutice.archives-ouvertes.fr/file/index/docid/940669/filename/h81_Pair-Le-Corre.htm. De nombreux autres rapports ont suivi, comme celui rédigé à la demande de V. Peillon intitulé La structuration de la filière du numérique éducatif : un enjeu pédagogique et industriel, rédigé en 2013 et qui parle déjà de « stratégie numérique » du MEN. Plus récemment, voir ceux de M. Fourgous en 2010 ou encore de F. Taddei en 2017.

3 On peut penser aux PIA et PIA2 https://www.gouvernement.fr/le-programme-d-investissements-d-avenir aux P2IA https://eduscol.education.fr/1911/l-intelligence-artificielle-pour-accompagner-les-apprentissages-des-fondamentaux-au-cycle-2 ou encore à Edu’up https://eduscol.education.fr/1603/le-dispositif-edu

4 https://www.education.gouv.fr/renforcer-les-competences-numeriques-des-eleves-et-developper-l-usage-des-outils-numeriques-pour-la-344275

5 C’est nous qui soulignons, ici et ailleurs.

6 Manon Laurent, Rosamaria Crisci, Pascal Bressoux, Hamid Chaachoua, Cécile Nurra, Erica de Vries, Pierre Tchounikine, « Impact of programming on primary mathematics learning », Learning and Instruction, Volume 82, 2022. https://doi.org/10.1016/j.learninstruc.2022.101667

7 https://blogs.mediapart.fr/claude-lelievre/blog/101114/le-numerique-lecole-une-vieille-affaire-presidentielle

8 Ce grand processus démocratique est mis en récit dans l’avant-propos de la SNE, p. 6.

9 Voir le rapport d’enquête du Sénat http://www.senat.fr/rap/r21-578-1/r21-578-125.html

10 https://www.education.gouv.fr/renforcer-les-competences-numeriques-des-eleves-et-developper-l-usage-des-outils-numeriques-pour-la-344275

11 https://www.education.gouv.fr/les-organismes-consultatifs-9314

12 Il serait intéressant de faire un historique de ces deux events, de leur glissement progressif vers une logique de marché et de promotion sans recul critique (si ce n’est pas de pure forme) de la numérisation de l’éducation. Le fait que Ludovia se félicite aujourd’hui d’exporter son modèle dans le monde entier, jusqu’au Qatar (sic), donne à penser.

13 Pour tous ces éléments, voir https://www.ludomag.com/2022/09/23/le-salon-educatec-educatice-devient-eductech-expo/

14 Pour N. Vallaud-Belkacem : https://www.najat-vallaud-belkacem.com/2016/11/17/salon-educatec-educatice-3-nouveaux-services-numeriques-innovants/ Pour J-M. Blanquer : http://www.touteduc.fr/fr/scolaire/id-15602-educatec-educatice-il-faut-developper-l-apprentissage-par-la-robotique-jean-michel-blanquer-, P. Ndiaye https://www.education.gouv.fr/visite-de-pap-ndiaye-au-salon-eductech-expo-343612 ou encore G. Attal https://www.education.gouv.fr/deplacement-de-gabriel-attal-et-jean-noel-barrot-au-salon-eductech-expo-379989

15 https://www.education.gouv.fr/visite-de-pap-ndiaye-au-salon-eductech-expo-343612

16 https://www.data.gouv.fr/fr/organizations/avicca/

17 https://edtech-capital.com/interview-anne-charlotte-monneret-directrice-generale-edtech-france

18 C’est net aussi dans l’interview accordée par Audran Le Baron à Ludovia dans le cadre de Educ@tech : https://www.youtube.com/watch?v=hxjZz9hIiaY

19 https://www.education.gouv.fr/strategie-du-numerique-pour-l-education-2023-2027-344263

20 https://www.youtube.com/watch?v=hxjZz9hIiaY

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