Cette année-là, durant et après la session de juin, de nombreux enseignant·es de lycée ont exprimé leur souffrance concernant les conditions matérielles et la charge de travail : nombre élevé de copies à corriger et de candidat·es à interroger, délais, temps de préparation insuffisant, cumul de périodes d’examen et de corrections de différents diplômes, générant une charge de travail inédite.

La nature des épreuves elle-même, en particulier l’oral, était aussi en cause. Son contenu, les attentes institutionnelles et les injonctions qui l’accompagnaient étaient en complet décalage avec ce que les enseignant·es considéraient comme une formation adaptée à des élèves de première et son évaluation cohérente. Travailler dans ce cadre et suivre les directives revenait, pour les enseignant·es à dégrader la qualité de l’évaluation, entraînant un sentiment d’activité entravée et de perte de sens.

En particulier, la forte recommandation de valoriser la forme de la prestation orale plutôt que son contenu, dans une épreuve pourtant centrée sur des textes et œuvres littéraires a suscité de vives réactions. Des inspections affirmant même qu’évaluer la qualité de présentations d’œuvres non lues ou non connues des professeur·es était possible. Pourquoi étudier des textes littéraires si l’évaluation se centre sur une performance orale qui pourrait porter sur tout autre sujet?

La FSU a inscrit la question des épreuves anticipées de français (EAF) à l’ordre du jour du CHSCT ministériel du 3 décembre 2021 et présenté un dossier élaboré par cinq militant·es, dont quatre enseignant·es de français, et dont trois étaient engagé·es dans des collectifs métier depuis plusieurs années. Sa conception et son contenu ont donc été nourris de cette expérience. Ainsi, dans les entretiens qui complétaient les témoignages spontanés (courriers, registre SST), une attention particulière était portée à la nécessité de partir du concret, et même du détail, interroger les possibles, susciter le dialogue intérieur et avec le métier. Formellement, le dossier ventilait ensuite les éléments recueillis selon les catégories de risques psychosociaux présentées dans le rapport Gollac, familiers à l’interlocuteur institutionnel.

Deux préoccupations ont guidé la rédaction du dossier dès sa conception.

– Aller au-delà d’un recensement des obstacles révélés par les plaintes afin de mettre en évidence les stratégies déployées par les enseignant·es pour les surmonter et leur coût en atteintes physique et psychique.

– S’adresser non seulement à l’institution, mais aussi aux enseignant·es, pour qu’ils et elles se reconnaissent en tant que professionnel·les engagé·es, confronté·es à des injonctions démesurées et paradoxales générant inefficacité et souffrance, malgré leurs efforts. Aspect crucial, car des inspections pédagogiques régionales les incitaient à puiser dans leurs ressources personnelles pour assurer le bon déroulement de l’EAF.

À l’issue de la réunion du CHSCT, des préconisations ont été votées, mais leur prise en compte par le ministère est restée insuffisante, comme souvent lorsqu’il s’agit de reconnaître et d’éviter des atteintes psychiques résultant d’organisations dont il est responsable.

Cependant, dans plusieurs académies, les sections académiques du SNES-FSU ont utilisé le dossier et ses pistes d’argumentation, lors de discussions avec les rectorats, et ont obtenu des améliorations en termes de délais et d’organisation. Le dossier, relayé par les sections académiques, a reçu de nombreux retours positifs. Il a permis de sortir les enseignant·es d’une individualisation ou d’une responsabilisation excessive de leur situation et de légitimer leurs revendications.

Le groupe Lettres du SNES-FSU a alors renouvelé ses demandes a l’Inspection générale de Lettres de réduction du nombre de textes que chaque élève devait présenter à l’oral de l’examen. Fixé à vingt en série générale et à douze en série technologique, ces seuils excessifs pour les enseignant·es, les plaçait sous une pression importante et les contraignait à une cadence qui menaçait d’autres aspects du travail. Dans les faits, l’étude des trois ou quatre derniers textes de l’année était réduite à un minimum peu utile aux élèves.

Mais le MEN refusait toujours d’assouplir ses exigences, bien qu’elles ne soient pas réalisées sur le terrain. En réaction, en 2022-2023 après l’action menée en CHSCTMEN, le SNES-FSU a appelé les enseignant·es à se limiter à seize ou neuf textes, selon la série du bac, afin de préserver la qualité de leur travail et leur santé. Cet appel a été assez suivi pour mettre le ministère en difficulté. Beaucoup de listes étaient sous les seuils ministériels, malgré les injonctions et de fortes pressions locales visant à imposer les seuils initiaux. À la rentrée suivante, le nombre de textes fut officiellement abaissé à seize pour la série générale.

L’adhésion massive à cette consigne a été facilitée par le travail mené depuis 2021 pour mettre en lumière le coût réel de ces injonctions, notamment leurs conséquences sur le travail concret et l’activité des enseignant·es.

Cet exemple montre que le travail de relégitimation du travail des professionnel·les, opéré au sein des collectifs métiers est essentiel pour faire valoir leurs critères de qualité du travail par rapport à des prescriptions déréalisées de l’administration. Il rend également concrète l’importance du travail collectif et du rôle du syndicat pour le développer.

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