En 2022, au cours d’une séance d’un collectif métier réunissant des enseignant·es de plusieurs disciplines, plusieurs participantes issues d’un même collège avaient partagé une expérience récente. Lors des conseils de classe, les représentant·es de parents avaient lu un courrier qui, au nom de la « continuité pédagogique » pour tous les élèves, demandaient « solennellement » d’« alimenter généreusement l’ENT : que chaque cours soit intégralement publié le jour même, ainsi que les documents distribués ». Ces demandes s’accompagnaient de critiques culpabilisantes sur les pratiques actuelles.

Nous étions à une période où les absences pour Covid ou suspicion de Covid étaient nombreuses. Les enseignantes concernées rapportaient que l’ensemble des équipes était resté sans voix face à la violence des propos, ressentant des sentiments d’injustice, de colère, mais aussi de culpabilité. Les membres de la direction présent·es, qui avaient des exigences proches de celles des parents, n’étaient pas intervenu·es pour soutenir leur équipe.

L’animateur, contacté en amont de la séance du collectif, avait proposé aux enseignantes de se filmer en train de remplir leur cahier de textes numérique, ce qui fut réalisé. À partir de ces courtes vidéos et des échanges qui ont suivi dans le cadre méthodologique du collectif, deux questions ont pu être travaillées : que fait-on lorsque l’on remplit son cahier de textes ? et comment le fait-on ?

De nombreuses difficultés sont alors apparues, liées à la transcription ou à la description de certaines tâches réalisées en classe. Cela a conduit à revenir à la question de la conception des cours. Peu à peu, à travers l’analyse des gestes, des évidences simples, brouillées par l’épisode du confinement, se sont révélées :

  • l’enseignant·e ne conçoit pas son cours pour une mise en ligne, mais pour le temps passé avec les élèves ;
  • à de très rares exceptions, pour les apprentissages, ce qui est inscrit dans le cahier de textes ne peut se substituer à ce qui s’est déroulé en classe ;
  • écrire un contenu permettant à un·e élève d’acquérir seul·e, chez lui ou elle, les apprentissages visés en cours exigerait un deuxième travail de conception complètement différent et très lourd.

Le cahier de textes peut fournir des traces utiles pour faciliter le retour d’un·e élève, mais il ne remplace pas le cours manqué.

Dans les textes officiels, il n’est d’ailleurs pas demandé que le cahier de textes remplace le cours. Ce sont les devoirs et les documents distribués qui doivent y figurer. La mention du contenu du cours n’est pensée que dans la perspective d’un éventuel remplacement. Mais au-delà de l’approche réglementaire, le retour sur le détail de l’activité permet de désamorcer les tentatives de culpabilisation. Le travail supplémentaire demandé pour l’intérêt des élèves n’a pas l’efficacité qui lui est prêtée.

Si la question de l’impact d’absences longues ou répétées sur les apprentissages des élèves est légitime — comment un·e élève, surtout jeune, pourrait-il ou elle « rattraper » des dizaines d’heures de cours ? —, l’institution s’est pourtant appuyée pendant cette période sur l’idée que l’action individuelle des enseignant·es, via le cahier de textes numérique, suffisait à résoudre le problème.

De retour dans leur établissement, les collègues ont organisé une heure d’information syndicale où elles ont partagé les échanges du collectif. Nombre d’enseignant·es s’y sont reconnu·es. Sur cette base, une déclaration à destination des parents et de la direction a été rédigée et lue en conseil d’administration, ce qui a permis de rouvrir le dialogue.

L’introduction du cahier de textes numérique — désormais rempli·e en solitaire, sans visibilité du travail des autres — avait fragilisé le « genre professionnel » associé à cette tâche. Auparavant, avec le cahier de textes papier, non accessible quotidiennement aux parents et aux élèves, les enseignant·es pouvaient constater la diversité des manières de le remplir. Confronté·es à une injonction brutale, ce sont leurs pratiques personnelles qui se sont retrouvées mises en cause. Chacun·e pensait devoir encore puiser dans ses ressources individuelles pour affronter la demande. Ne sachant où cela pouvait mener, l’animateur a jugé prioritaire de recréer du commun par les échanges sur le concret de l’activité.

Bienvenue sur l'espace pratiques professionnelles du SNES-FSU

Le SNES-FSU propose des des outils, des analyses, des références, pour réfléchir à ses pratiques, décrypter votre quotidien professionnel. Vous trouverez sur ce site des témoignages, des travaux de chercheurs, des analyses des pratiques professionnelles etc.
Des remarques, des questions ?
Contactez nous : contenus@snes.edu et metier@snes.edu