Les compétences socio-comportementales étaient déjà largement présentes dans le rapport Quels professeurs au XXIème siècle ? » du Conseil Scientifique de l’Éducation Nationale (CSEN), dirigé par Yann Algan qui reprenait en grande partie le rapport Mckinsey.

Désormais le nouveau socle est redéfini autour de quatre « familles compétences » : mathématiques ; français ; compétences psycho-sociales ; culture générale.

Définition des compétences psycho-sociales 

La définition de ces compétences reste très floue et oscille d’ailleurs selon les publications entre compétences socio-comportementales, compétences socio-émotionnelles, transversales…Les référents théoriques de ces différentes appellations ne sont évidemment jamais explicités.

La définition retenue aujourd’hui par le MENJ est celle de l’OMS.

L’OMS définit les compétences psychosociales comme « ensemble cohérent et interrelié de capacités psychologiques (cognitives, émotionnelles et sociales), impliquant des connaissances, des processus intrapsychiques et des comportements spécifiques, qui permettent de renforcer le pouvoir d’agir (empowerment), de maintenir un état de bien-être psychique, de favoriser un fonctionnement individuel optimal et de développer des interactions constructives. »Le développement de cette capacité psychosociale globale peut se faire par  » l’enseignement de compétences de base utiles à la vie (dénommé en anglais  » life skills « )  » (WHO, 1994). 9 compétences constituent la base de cet ensemble :

Des individus adaptables à toutes les situations y compris celles parfois brutales dues aux aléas de l’économie (précarité, chômage), prompts à accepter les normes sociales les plus normatives et à intérioriser une culture du renoncement à plus de justice, d’égalité, de pouvoir. La généralisation de l’implantation de ces programmes d’actions dans la circulaire interministérielle montre une ambition totalisante du formatage des comportements dès l’enfance qui doit nous alerter.

 L’accent est mis sur les résultats des mesures obtenus par questionnaires.

Les bénéfices attendus semblent davantage relever de la méthode Coué que de la validation scientifique : D’après Santé Publique France, « Les CPS ont un impact positif sur le développement global, le bien être, la résilience, la réussite scolaire. Elles permettent de réduire les troubles anxio-dépressifs, le suicide, les conduites à risques, en termes de comportements sexuels, violents ou d’addictions ».

les fondements théoriques des CPS : la psychologie positive :

La plupart des programmes d’actions sur le développement des « compétences psychosociales » s’appuie sur la psychologie positive.

Le modèle de la psychologie positive a été élaborée par Seligman et Peterson, à partir de textes de philosophes et de leaders spirituels. Il définit 6 vertus principales : la sagesse, le courage, l’humanité, la justice, la modération et la transcendance. A chacune de ces vertus correspondent des forces de caractère dont l’exercice quotidien doit amener à la vertu. Or, ce modèle est purement conceptuel et basé sur les représentations des auteurs.

L’’évaluation de ce modèle n’a jamais été confirmé par les analyses statistiques. En particulier on ne retrouve pas le modèle en 6 facteurs ni la correspondance des « forces de caractère » avec chacun des facteurs. M Hansenne (La face cachée de la psychologie positive, Mardaga 2021) a constaté des biais dans les échantillonnages, des corrélations peu significatives, peu de recherches empiriques sur les application de ce modèle. De plus, le fait de ne prendre en compte que les comportements jugés positifs, constitue un biais considérable qui lui fait dire que la psychologie positive s’est positionnée d’emblée sur le terrain du jugement moral.

Et pourtant, la psychologie positive a aujourd’hui pignon sur rue. On peut penser que ce n’est pas vraiment grâce à ses publications dans des revues scientifiques mais plutôt grâce à des succès de librairie (rayons bien-être et développement personnel) et de forts relais médiatiques.

la mise en œuvre des programmes de compétences psychosociales

L’instruction interministérielle du 19 /08/2023 préconise le développement des compétences psychosociales pour les enfants et les jeunes grâce à des interventions coordonnées tout au long du parcours. L’objectif annoncé est que la génération 2037 soit la première à grandir dans un environnement continu de soutien au développement des CPS. On mesure l’ambition de conformer l’ensemble de la société à une norme politiquement définie par des interventions d’ingénierie sociale qui agissent sur les comportements tant des enfants que des parents.

X Briffault, "Mesures et démesures dans la prévention en santé mentale : Une analyse de la stratégie nationale multisectorielle de développement des compétences psychosociales chez les enfants et les jeunes ( 2022-2037)" in M Bonnefoy, C. Garrigues et P. Suesser,Le succès de la prévention en santé familiale, infantile et juvénile, Erès 2023

Santé publique France a rédigé un référentiel pour le déploiement des CPS, dont elle considère les programmes d’actions comme probants. Ces interventions sont appelés à se développer dans le cadre de la promotion de la santé.

Quelques exemples des contradictions de ce référentiel avec les recherches en psychologie.

  • Le renforcement de l’estime de soi. Le renforcement de l’estime de soi fait l’objet de nombreuses interventions auprès des élèves, souvent menées par des associations ou des fondations (Energie jeunes par exemple). Les bénéfices attendus portent sur l’amélioration de la réussite scolaire et du comportement. Or, les travaux de Delphine Martinot en psychologie sociale montrent que la majorité des élèves en difficulté manifestent une bonne estime d’eux-mêmes. En effet, ils mettent en œuvre des mécanismes de défense qui ont des conséquences négatives sur la réussite scolaire en renforçant les stratégies de protection de soi par des conduites d’auto-complaisance, d’auto-handicap, de désengagement scolaire. Vouloir améliorer l’estime de soi de ces élèves par ces protocoles d’actions risque donc d’alimenter le cercle vicieux de l’accentuation de stratégies défensives qui à leur tour augmentent les difficultés scolaires.
  • La régulation des émotions. La gestion des émotions fait partie de la panoplie des compétences psycho sociales. En maternelle, il s’agit le plus souvent de mettre des noms sur les éprouvés, ce qui ne peut être critiquable en soi. Mais ce travail sur les émotions s’appuie aussi sur le principe de la recherche d’émotions positives pour aller vers plus de bien- être. Dans les pistes suggérées pour l’atteindre, il est conseillé de rechercher des situations où l’on va ressentir des émotions positives. Mais l’appropriation des savoirs n’est pas exempte de doute, d’inconfort face à l’inconnu, d’efforts. Faudrait-il s’en détourner ? La recherche unique d’émotions positives peut aussi renforcer les stéréotypes, le peu d’ouverture au point de vue d’autrui, la limitation au « déjà connu » très dépendant de l’expérience sociale. Tout se passe comme si l’expression d’émotions négatives étaient devenues inconvenantes ou dérangeantes. Cette conception revient à minorer le rôle de certaines émotions négatives et le rôle du conflit interne comme ressource du développement.

Qu’est ce qui explique cet engouement  pour la mise en œuvre des CPS ?

Le discours de certains économistes sur ces programmes doit nous alerter. Depuis les années 2000, les économistes se sont emparés de la question. Les français dans leur ensemble seraient trop défiants par rapport aux institutions et cette défiance serait nocive à la croissance (cf.la loi Blanquer pour une Ecole de la confiance en 2022)

Dans une note du Conseil d’analyse économique d’octobre 2018, on peut lire qu’ « investir dans les compétences socio-comportementales est l’une des conditions sine qua non pour lutter contre le décrochage scolaire et le risque d’exclusion sociale des jeunes déscolarisés sans emploi ». Cet investissement serait aussi essentiel pour l’ensemble des élèves français. « Si l’école ne constitue pas l’unique cause du retard de la France en compétences socio-comportementales, elle reste le moyen d’action le plus pertinent en termes de coût-bénéfice pour y remédier. »

Dans une autre note de 2022, les mêmes auteurs affirment que « le capital humain doit devenir un levier prioritaire, en commençant par l’éducation et l’acquisition de compétences mathématiques et socio-comportementales. Ces compétences jouent en effet un rôle prépondérant pour la croissance de la productivité dans les économies modernes ».

La théorie du capital humain, jamais remise en cause, constitue la justification princeps de ce discours et de la généralisation de tous ces programmes d’intervention malgré leur faible efficacité.

La culture pour tous au service du développement de la personne

Ces conceptions sont évidemment aux antipodes de ce que nous défendons au SNES-FSU et à la FSU.

Quelles conséquences de la mise en place du « choc des savoirs » pour le développement des enfants et des adolescents ?

  • Le renforcement du sentiment d’injustice face à des contenus et à des parcours décidés précocement. L’Ecole ne fait plus promesse de promotion sociale et d’égalité des chances. Comment ignorer le ressentiment, le sentiment d’exclusion que ne manqueront pas de provoquer cette prise de conscience par les élèves ? A quelles conséquences faut-il s’attendre en termes de climat scolaire ?
  • Le recul des savoirs enseignés au profit des compétences psychosociales risque de renforcer les malentendus dans la tête des élèves et la confusion entre normativité des règles liées à l’appropriation des contenus disciplinaires et normalisation des comportements. Les élèves risquent de rabattre l’intellectuel sur le comportemental, et ne pas identifier les enjeux cognitifs , les enjeux d’apprentissage qui sont derrière les activités proposées. Ces confusions ont déjà été mises en évidence dans de nombreux travaux de l’équipe Escol.1 Les travaux du psychologue L.Vygotskii montrent que c’est l’apprentissage qui sollicite le développement et non l’inverse.
  • Moins on favorise l’accès à des objets culturels divers, au-delà de ce que les enfants rencontrent dans leur vie quotidienne, moins on donne d’occasions de faire naître chez les adolescent.es, la curiosité, l’étonnement, de s’interroger sur la discordance entre ses différents milieux de vie et d’en permettre l’élaboration. Donc, plus on entrave le développement du pouvoir d’agir et de penser.
  • D’après la psychologie positive, Il faudrait que tout soit harmonieux et lisse. Or, les travaux de Wallon et de Vygotski montrent que le conflit, la discordance entre les représentations, les expériences sociales, les connaissances sont les moteurs du développement, la source de créativité.
L.Vygotski, Pensée et langage, La dispute 2019 
S.Bonnery, Comprendre l’échec scolaire, La dispute 2007
S.Bonnery , E.Bautier, P. Clément, « L’introduction en France des compétences dans la scolarité unique ». Enjeux politiques, enjeux de savoir, enjeux pédagogiques et didactiques. Cahiers de la recherche sur l’éducation et les savoirs 2017.

Conclusion : quel modèle d’individus veut-on former avec ces programmes ?

Des individus adaptables à toutes les situations y compris celles parfois brutales dues aux aléas de l’économie (précarité, chômage), prompts à accepter les normes sociales les plus normatives et à intérioriser une culture du renoncement à plus de justice, d’égalité, de pouvoir. La généralisation de l’implantation de ces programmes d’actions dans la circulaire interministérielle montre une ambition totalisante du formatage des comportements dès l’enfance qui doit nous alerter.

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