« Est-ce que ça lui sert vraiment ? »
Adèle évoque un élève, Théo (le prénom a été changé) en 4°, au sujet duquel elle trouve apparemment les prescriptions dans sa discipline, l’anglais, difficiles «Parce que moi en langue on m’a demandé des trucs extrêmement compliqués pour les évaluations. Et Je me casse la tête. Il ne faut pas qu’il rédige de phrases. Il ne faut pas qu’il réponde à des questions. Il ne faut pas ceci, pas celà. (…) Là il faut simplement qu’il relie des trucs. Il faut faire avec des dessins, pour que soit facile. C’est d’une complication. »
Les questions qui lui sont posées par les autres participantes révèlent par ailleurs que comme elle conçoit deux évaluations par classe, pour que les voisins de table n’aient pas la même, cela lui fait trois évaluations différentes à préparer dans la classe de Théo. Cela lui demande du temps, pour un travail qui ne s’adresse qu’à un seul élève avec peu de chance qu’il soit réutilisable pour d’autres élèves les années suivantes au vu du profil particulier de Théo.
Mais Adèle n’est pas loin de la retraite, et les questions concrètes révèlent qu’elle dispose d’une banque d’exercices conséquente qu’elle agence et module différemment en fonction des classes, de la progression. Elle ne part pas de rien pour chaque évaluation. La question du temps est réelle mais pas insurmontable.Cependant, les échanges l’amènent à ce qui l’interroge plus profondément : « Je refais pas toute l’évaluation de toute façon il faut en enlever un petit peu. Des exercices que je laisse. Oui, j’essaie, mais bon. Enfin comment… je me dis, c’est pas valide. Parce que je donne presque les réponses dans les questions, quoi. Quand il faut relier tout. Par exemple, je ne sais pas… quand on en est à savoir écrire les dates, écrire les dates en lettres. Je donne les dates en chiffres, les dates en lettres. Il doit relier. Qu’est-ce qu’il fait ? Franchement ? Moi, je ne vois pas. Enfin. J’ai l’impression, que c’est pas…que ça va pas non plus ce que je fais. Que c’est trop facile quoi. Je ne suis pas arrivée à trouver un juste milieu. »
Elle évoque aussi un paradoxe : les documents reçus lui indiquent de favoriser l’oral alors que l’élève ne s’exprime pas en classe. Une autre participante du collectif, professeure de français dans le même collège qui a l’élève, confirme que Théo ne parle jamais en présence des autres élèves. Aucune des deux n’est parvenue à lui faire dire le moindre mot en situation de classe.
Comme ailleurs, comme d’autre enseignants, Adèle paraît surtout se demander si les efforts qu’elle produit ont un sens, s’ils servent à l’élève. Elle repense à un autre cas rencontré deux ans plus tôt.« C’est pareil, il fallait tout tout tout adapter. Arrivé un moment, tu ne sais plus, tu ne sais plus quoi, leur proposer comme évaluation. En plus lui, c’était par ordinateur. Théo devrait avoir un ordinateur m’a dit son AESH. Mais comme ça prend énormément de temps avec la MDPH, il n a toujours pas. Donc. Bon. Mais moi je m’interroge sur le .. enfin…le bien-fondé … comment dire… est-ce que ça lui sert vraiment à ce gamin ? Je ne sais pas. Parce que qu’est-ce qu’on évalue ? Son AESH elle fait tout en classe… Il n’écrit rien. Il n’écrit rien pendant les évaluations. Il n’écrit pas la trace écrite. Il ne fait rien. Et à l’oral, il ne peut pas s’exprimer. » A une question sur les résultats de l’élève, elle répond « En Anglais, c’est excellent. Il a genre 18 ; Puisque je me j’ai … je me suis pliée à ce qu’on me demandait de faire quoi. Mais, ça n’a pas de sens. »
Des questions collectives mais affrontées isolément
Les autres participantes ont beaucoup laissé Adèle s’exprimer parce qu’elles reconnaissaient des doutes et des interrogations partagées dans ses propos, comme elles l’ont exprimé à plusieurs reprises. Les réactions vont dans le même sens lorsque ce témoignage est présenté dans des stages syndicaux. Ce n’est jamais la prise en compte de besoins particuliers d’élèves qui est remise en question par les collègues. Mais plutôt l’adaptation des préconisations à une classe réelle, la solitude dans laquelle sont laissés les enseignant-e-s pour concevoir et assumer des aménagements qui leur sont dictés de l’extérieur. Adèle n’évoque pas d’interlocuteurs/trices pour parler de ses questionnements sur ce qu’elle met en place. Et les autres participantes ne lui en suggèrent pas ou n’indiquent pas en disposer dans leur établissement. Bien sûr elles connaissent les autres professionnel-le-s présent-es aux réunions qui concernent ces élèves, comme les ESS, mais elles ne s’adressent pas à ces dernier-e-s pour ces questions de métier qu’elles affrontent solitairement.
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