La rentrée 2020 s’est faite dans un contexte sanitaire inédit. Le protocole adopté lors du déconfinement n’avait été imposé que sur une durée limitée. Il ne l’est plus aujourd’hui, mais il bouleverse en profondeur les pratiques professionnelles.

Coline, professeur-documentaliste Pour respecter la distanciation, on ne peut accueillir que 25 élèves au CDI (moins d’une classe). Lors des séquences pédagogiques, je suis obligée d’aller dans une autre salle plus grande. Résultat : les élèves ne peuvent plus faire de recherches pendant ces heures car ils ne sont plus au CDI !

Si les établissements fonctionnent, c’est grâce à l’implication et à la conscience professionnelle des personnels qui ont à cœur de permettre à tous les élèves d’accéder à une scolarité la plus « normale » possible. Mais devant le refus du ministère d’organiser la rentrée en recrutant et en aménageant les locaux et d’aménager les programmes, les personnels font face à des dilemmes, voient leur charge de travail s’accroître, leur métier se complexifier. Avec le protocole sanitaire, et en particulier le masque qui bouleverse tous les repères et ne permet pas d’exercer son métier dans de bonnes conditions, les pratiques professionnelles sont impactées, les disciplines malmenées. Vous avez dit salles spécialisées ? Si la plupart des salles spécialisées sont maintenant accessibles, ce n’est pas le cas partout car des chefs d’établissement ont fait ce choix dans le cadre de protocoles sanitaires locaux : certains enseignants n’ont pas de matériel à disposition et doivent continuer à se déplacer comme en juin dans les salles attribuées à chaque classe dont ils ont la charge. En technologie, SVT et sciences physiques, l’impact est grand sur les apprentissages, puisque dans ce cas, les élèves ne peuvent plus expérimenter (voir encadré page 25), ni réaliser des activités pratiques. Le « une classe/une salle » impacte aussi l’enseignement des langues vivantes, les salles ne disposant pas toutes du même équipement audio. Morgane, professeur d’allemand, n’a plus la possibilité de travailler avec des tablettes comme avant : « je n’ai pas le temps de les nettoyer après chaque heure de cours, de les mettre sur le chariot, de me déplacer avec dans une autre salle, etc., mon cours est devenu plus frontal, avec moins de coopération entre les élèves ». L’oral dans tous ses états « Le masque, c’est l’enfer pour apprendre la prononciation aux élèves et particulièrement lorsqu’ils commencent une langue ! s’insurge Marion, professeur d’anglais. Il faut pouvoir leur montrer la position de la bouche, de la langue, des dents ». Et quant aux pratiques vocales en éducation musicale, « on ne peut pas en faire autant qu’avant, on est vite fatigué, on a du mal et les élèves aussi » précise Catherine. « Et où sont les masques transparents dit “inclusifs” qu’on nous promet depuis la fin de l’an dernier ? » C’est la question que pose Véronique, professeur d’Histoire-géographie en situation de handicap auditif : « Le masque dissimule le son et le mouvement des lèvres de mes élèves » ; « le ministère ne fait aucun cas des personnes malentendantes ». Dans toutes les situations professionnelles, pour les professeurs, CPE, AESH, AED, Psy-Én, le port du masque impacte la relation avec les élèves : il anonymise, déshumanise. Les élèves doivent parler plus fort pour qu’on les comprenne, et les personnels aussi ! Les personnels, seuls, cherchent des solutions… : amplificateurs de voix, supports de masque pour mieux respirer… le tout à leurs frais. En outre, aucun espace n’a été prévu pour, de temps en temps, pouvoir respirer, enlever le masque, boire… Le travail enseignant impacté aussi en dehors de la classe En Physique chimie, « Je suis obligée de refaire tous mes cours, précise Delphine. L’absence de manipulations modifie tout. Faire des TD à la place des TP, revoir les fiches, etc. ». En Allemand, Morgane a dû aussi repenser ses préparations de cours en lien avec ses pratiques de classe : « Avant je travaillais en ilôts. Maintenant ce n’est plus possible à cause de la distanciation physique ». « J’ai été obligée de revoir toutes mes séquences de cours, je fais plus d’histoire des arts et moins de pratique », précise Amélie, professeur d’arts plastiques. L’utilisation du matériel en classe La question du matériel touché par les élèves pose de redoutables problèmes. « En arts plastiques, on ne peut plus partager le matériel comme avant et il y a beaucoup moins de déplacement en classe, souligne Amélie. On me dit qu’il faut que je puisse tout désinfecter entre chaque heure de cours… c’est impossible. Pour leurs réalisations, les élèves n’ont plus accès au matériel spécifique fourni par l’établissement. Cela renforce les inégalités » déplore-t-elle. En SVT, Sciences physiques, la désinfection est un travail quotidien des enseignants, et à plus forte raison lorsqu’il n’y a pas d’agent de laboratoire pour les aider. En Technologie, c’est la désinfection des claviers d’ordinateurs notamment. Pour les professeurs-documentalistes, « c’est un vrai casse-tête » indique Coline (voir encadré en page 24). Les personnels ne pourront pas tenir très longtemps dans ces conditions. Cette situation montre l’incapacité du ministère à répondre à une situation de travail dégradée. À force d’être affaibli « en temps normal », le service public d’éducation ne peut plus répondre efficacement lors de situations de travail dégradées, et encore moins dans la perspective d’un long terme… L’urgence est à des effectifs de classe moins denses, à des conditions de travail améliorées, au recrutement de personnels plus nombreux avec des équipes pluriprofessionnelles complètes.

Ramadan, CPE CPE dans un collège de presque 800 élèves avec une mixité riche, les relations sociales sont limitées par le port du masque, la fermeture de lieux de vie comme les salles du FSE, la réduction des temps de pause méridienne… La priorité de la rentrée ? La vérification des stocks de gel et de masques, alors que ce devrait être la prise en charge des élèves après une période inédite. Les questionnements ? Comment pourvoir à la nécessité de fournir des masques aux familles dans le besoin, et garantir l’éducation aux gestes barrières et rester dans la prévention, en essayant de garder un cadre rassurant pour nos élèves… À la rentrée nous avons vécu une joie partagée, celle de retrouver les élèves, eux-mêmes emballés par le retour à l’école, qui disent : « ça nous avait manqué ». Mais la déception s’invite rapidement : le premier entretien est assez compliqué puisqu’il faudrait presque s’armer de pancartes avec des « emojis » pour exprimer nos émotions. Il faut, avec nos élèves, éviter le quiproquo ou la mauvaise interprétation. La demi-pension prend des allures de calvaire quand on veut tenir les préconisations protocolaires. On assiste encore une fois à la preuve flagrante de la méconnaissance de nos conditions de travail : aucun moyen n’a été alloué pour pouvoir mener ces objectifs à bien, aucun poste d’encadrement supplémentaire, aucun allégement d’effectifs, aucune prise en compte des séquelles des six derniers mois sur notre public, on leur demande de revenir comme si de rien n’était… mais masqués. Les assistants d’éducation veillent aux conditions d’accueil en permanence, là où se trouvent aussi l’isoloir et l’urne nécessaires à la prochaine élection des délégués : comment faire pour éviter les déplacements, les manipulations de papier, de stylo, de matériel ? Comment garder l’authenticité d’un scrutin, et permettre des exercices civiques, avec explication, interaction, bulletins blanc, nuls, avec des essais et des erreurs qui font de l’école le principal laboratoire d’apprentissage de la démocratie ? L’école que nous voulons ne doit pas ressembler à l’école de la rentrée 2020.

Delphine, professeure de Physique Chimie en REP « On change de classe et de salle à chaque heure. Les classes ont une salle dédiée. Je travaille sur 13 salles. Je n’ai pas mon matériel. Les élèves ne manipulent pas. Je pensais pouvoir faire les manip au bureau et leur montrer, mais on ne peut pas transporter le matériel, car les salles sont à des étages différents. Je me déplace déjà avec mes photocopies, mon sac, mes feutres… Pour l’instant je navigue à vue. Après mon premier chapitre, je ne sais pas comment faire. En électricité, faire des mesures sans appareil, je ne sais pas. La chimie, n’en parlons pas. J’ai des maux de tête terribles aussi à cause du masque, qui gêne pour parler, et comprendre. On doit forcer sur l’écoute. Sans labo à proximité je ne peux plus puiser de matériel en fonction des questions, des réactions et des besoins qui se révélaient en classe. Je ne peux plus non plus prêter des calculatrices, des règles… Il faut aussi changer les formats des documents à cause des logiciels et des versions, différents d’une salle à une autre. »

CTN résister aux pressions, remplir le cahier de textes numérique sans mettre les cours en ligne.


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