« Mais dans ma classe j’ai du mal à adapter »

Cette expression de Benoît et sa tonalité retiennent l’attention des autres participant-e-s. Ils/elles y perçoivent que Benoît s’attribue la responsabilité de la difficulté à faire ce qu’il y a à faire en matière de suivi des prescriptions sur l’inclusion. La difficulté à réaliser cette tâche lui semble personnelle. Mais les échanges de ces six professionnel-le-s aux parcours divers, à l’ancienneté diverse et qui ne sont pas réunis pour échanger spécifiquement sur l’inclusion ce jour-là montreront que c’est plus complexe. Il confie : « j’ai du mal à adapter et à leur donner un texte à trous dans la mesure où le cours ce sont les élèves qui le fabriquent. ». Il estime qu’il ne parvient pas à concilier sa manière de faire habituelle, en grande partie issue de sa formation, où les élèves sont acteurs dans la conception en particulier de la trace écrite et la prescription de textes à trous pour ses élèves à BEP. En réponse à des questions concrètes d’autres participant-e-s, il précise : «Ça va tomber à côté quoi. Je vais faire un cours qui sera celui du professeur et pas celui des élèves, en tout cas pas celui des autres élèves. Est-ce que c’est gênant ? Je doute … Mais voilà… Je n’y arrive pas. Après j’ai aussi une A.E.S.H. qui vient avec les ULIS. Le plus compliqué c’est avec les F.L.E. qui n’écrivent pas du tout le français ; là on doit parler anglais. » Comme d’autres lui demandent qui lui impose de parler anglais, il répond, au sujet d’élèves pakistanaises anglophones : «Personne ne le dit mais bon… Elles ne vont pas rester faire les plantes vertes dans la salle quoi. Tu essayes un petit peu… »

Pouvoir tout faire ?

Un participant pose la question suivante aux autres : « Est-ce que certains d’entre vous adaptent systématiquement les évaluations, y arrivent, le peuvent ? » Des réponses sur la nature des aménagements, mots et définitions à relier ou textes à trous viennent, mais elles ne portent pas sur le « systématiquement ». Carole mentionne une première difficulté : « Je faisais ça aussi pour la partie rédigée : je leur mettais un texte à trous. Mais je me suis rendue compte qu’ils ne comprenaient pas le texte à trous, car il faut avoir ma logique. » Méline, elle, retire les exercices à rédiger. Mais une réponse générale à des élèves avec des difficultés différentes interroge un autre participant. Carole dit alors : « C’est pour ça que maintenant j’ai trouvé un nouveau truc : je leur donne le même devoir que tout le monde et je leur dis : « Le truc où tu n’arrives pas, tu me dis que tu ne peux pas et tu rayes et je ne compterai pas cette partie-là ». » Mais d’autres questions viennent : « Ils savent ce qu’ils ne peuvent pas faire ? »  et « Ça leur arrive de croire qu’ils savent faire et en fait non ? » Carole complète : « Ça arrive mais j’essaie de les responsabiliser : « Tu sais de quoi tu es capable » et   « Je leur dis : « Dès qu’il y a un truc que tu n’arrives pas à faire, tu le notes. Même si c’est la moitié du contrôle, ce n’est pas grave ». 

Laurence intervient : « Souvent ils ont droit à un tiers-temps donc je n’adapte pas l’évaluation et je leur dis : « tel exercice vous ne le faites pas ». » Et elle rapporte un cas particulier : « On a eu un élève qui avait une place en ULIS, mais il fallait faire des démarches donc il est resté avec nous plusieurs semaines. Ça a été extrêmement compliqué, car il n’avait pas d’A.E.S.H., il ne savait pas trop quelles étaient ses difficultés… C’était chaud quand même. C’est particulier. »

La capacité des uns ou des autres à adapter « systématiquement » chaque évaluation n’ a pas encore été abordée à ce stade. Les collègues ont ressenti le besoin d’échanger déjà sur la nature des aménagements qu’ils tentent. Mais Carole l’aborde légèrement : « Il faudrait un devoir pour chaque élève quasiment » Anne complète : « On en revient à la quantité de travail aussi… ». Yann évoque tout de même une tentative de systématisation :: « Ce qui m’est arrivé l’année dernière, c’était de préparer une évaluation spécifique : je retirais certaines questions. A un moment donné, j’ai essayé de quasiment faire tout ce que j’écrivais en arial 14 interligne double. Après il y a d’autres petits problèmes L’année dernière je suivais les adaptations de la petite grille et des petites croix, mais l’élève avait 5/20 ou 2/ 10 selon le barème que je lui mettais. Il n’y avait rien dedans. Du coup j’ai douté : est-ce qu’il ne travaille pas ? Est-ce moi qui n’arrive pas à cerner ses difficultés ? Est-ce que je ne sais pas quelles sont les remédiations que je peux faire ? Démuni quoi. »

Des vécus communs.

Quelques instants plus tard, Yann avoue que cette année il oublie davantage« Je dis aux dyslexiques parfois qu’ils sont autorisés à ne pas faire de phrases. Quelquefois quand j’oublie ou quand je n’ai pas le temps de remodeler l’évaluation… Comment dire ? Ben j’improvise en classe : je vais voir l’élève et lui dis « Celle-là tu ne la fais pas. Celle-là tu ne la fais pas. Celle-là tu ne la fais pas de phrases. » » Mais il n’est pas le seul, aussitôt les autres participants reconnaissent une situation vécue et chacun citent spontanément les phrases qu’ils sont amenés à prononcer dans les mêmes circonstances : « Celle-là t’essaies », « Celle-là si tu as le temps », « Tu fais ce tu peux, on verra. »

Le point de départ de l’échange était « J’ai du mal à adapter ». Mais est-ce Benoît qui est insuffisant ? Ou, comme ses collègues, est-il placé dans une situation où il ne dispose que de ses seules ressources personnelles pour affronter des obstacles inédits ?

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