Travail invisible et individualisé

Jean-Luc Roger, Refaire son métier. Essais de clinique de l’activité. Erès 2012, p.17

Toujours davantage, le monde du travail est désormais soumis à de fortes pressions qui tendent à transformer les façons d’être et de faire[i]. Les pratiques acquises voient leur efficacité s’éroder continûment face aux changements incessants des structures et des tâches, contraignant sans cesse chacun à de nouveaux actes professionnels. Les métiers établis perdent leurs contours. Les collectifs de travail se délitent.

Les trajectoires professionnelles s’individualisent. Le travail, celui qu’il faut réellement faire pour assumer ce qu’il y a à faire, tend à devenir socialement invisible. Sa responsabilité, sa réalisation, son poids deviennent de l’ordre du personnel, à charge de celui qui l’effectue.

Aussi sait-on peu de choses sur ce que font effectivement les professionnels dans le cours quotidien de leur activité, sur la manière dont ils assument les tâches qui leur sont prescrites, dont ils subissent et surmontent malgré tout – ou non, ou partiellement – les épreuves matérielles et psychologiques du travail et les dilemmes qui se présentent sans cesse dans l’exercice du métier sur ce que l’on doit faire et comment le faire. Or, ce qui se joue ici c’est l’efficacité de l’action, tout comme le développement ou l’atrophie du sens pour ceux qui travaillent. S’éprouve aussi la santé physique et psychique puisque les mutations des situations de travail sont porteuses d’épreuves qui engagent le corps et la pensée[ii]. Se joue également la question de la formalisation et de la transmission de l’expérience professionnelle.

[i] SENNETT, R. 2006. La culture du nouveau capitalisme, Paris, Albin Michel.

[ii] CLOT, Y. 1995. Le travail sans l’homme ? Pour une psychologie des milieux de travail et de vie (2e édition, 1998), Paris, La Découverte.

CLOT, Y. 2002. La fonction psychologique du travail (troisième édition augmentée), Paris, PUF.