Dans les collectifs de pairs organisés par le SNES-FSU, les collègues prennent le temps d’échanger, de s’interroger mutuellement, en profondeur,autour de cette grande question : « Comment fais-tu concrètement, dans une vraie classe, avec de vrais élèves ? » L’importante activité déjà réalisée par les personnels et sa complexité demeurent en grande partie invisibles au quotidien pour des observateurs extérieurs mais aussi pour les acteurs eux-mêmes pris dans des rythmes qui ne permettent guère de prendre du recul. Dans les collectifs, les échanges et les traces de l’activité permettent aux participants de la découvrir, ou plutôt de la redécouvrir et d’en prendre conscience collectivement.

Rétablir les responsabilités

Les obstacles auxquels se heurtent les enseignants, vécus comme des difficultés personnelles, apparaissent partagés et propres au travail. La responsabilité de ce qui n’est pas fait de manière satisfaisante et des conséquences pour les personnels comme pour les élèves ne retombe plus alors individuellement sur les professionnels. La part de responsabilité de ceux qui organisent le travail et le prescrivent devient évidente.

L’inclusion concrètement

Pour bien des agents, l’inclusion apparaît souvent d’abord comme une liste de prescriptions dans un document qu’il faut chercher dans l’ENT, dans une messagerie ou encore dans son casier. C’est dans la prise de connaissance des aménagements à mettre en place que se nichent déjà des obstacles à surmonter, un défaut d’organisation du travail que les enseignants doivent compenser.

Échanges entre pairs. « Sur pronote il y a un petit symbole, on doit cliquer dessus » Prendre connaissance des aménagements à réaliser.

Ensuite, trouver le temps et les moyens d’intégrer ces préconisations et prescriptions dans son activité quotidienne, dans sa conception de cours, d’exercices et d’évaluations et dans le déroulement d’un cours réel avec une progression à tenir, reste un défi difficile.

« Proposer une aide méthodologique », « Diminuer le nombre d’exercices, de questions », « Accorder un temps majoré ». Si ces préconisations aident à cerner des difficultés, elles suscitent plus encore des dilemmes : comment mettre en pratique/en application dans une classe avec une trentaine d’élèves en charge ? Sans formation, comment choisir par exemple les exercices à « retirer » ou la façon de modifier une consigne pour aider efficacement, faire progresser, quand, en sus, on connaît encore peu l’élève ? Et si les acquisitions ne sont pas au rendez-vous en dépit des aménagements, ces derniers sont-ils pour autant à remettre en cause ? Ou bien est-ce le travail de l’élève qui est insuffisant ? Ou encore rencontre-t-il d’autres difficultés ? Le plus souvent l’incertitude demeure. Dans le doute, vaut-il mieux retirer des évaluations ratées, au risque de leurrer l’élève et sa famille, ou le confronter à des échecs dont les causes sont incertaines ?

Échanges entre pairs. « Mais dans ma classe j’ai du mal à adapter ». Aménagements : difficulté des choix et des mises en place.

Échanges entre pairs. « Mais la dernière fois, les questions que j’avais barrées, il les a faites quand même et il s’en est très bien sorti». Aménagements : difficulté des choix et des mises en place.

Travail invisible

Les aménagements à mettre en place peuvent aussi s’accumuler sans limite. L’évaluation de la charge de travail que cela peut représenter est inexistante et l’institution n’y prête aucune attention. Or, des enseignants témoignent avoir jusqu’à une trentaine d’élèves à « BEP » répartis dans leurs classes.

Le sentiment d’impuissance et de perte de sens de l’activité est aussi généré par la prise en charge dans le cadre de l’inclusion d’élèves qui ont des troubles psychiques. Ce type de prise en charge est plus rare mais en développement et il se fait, comme pour les troubles d’apprentissage, sans formation, sans professionnels compétents disponibles et même avec des informations limitées.

La présence et l’intensité des facteurs de difficultés varient en fonction des lieux et des périodes. Le nombre et la complexité des aménagements préconisés sont des éléments qui pèsent. Des collègues évoquent des variations annuelles du simple au triple du nombre d’élèves avec des PAP par exemple. D’un établissement à l’autre les conditions peuvent aussi être très variables. L’effectif et la composition des classes dans lesquelles il faut mettre en œuvre les prescriptions sont d’autres facteurs à prendre en considération. Les possibilités d’échanger avec d’autres professionnels ou de s’appuyer sur un collectif sont aussi très inégales. Maintenir l’activité ordinaire attendue en classe et prendre suffisamment en compte les élèves à BEP pour les faire progresser sont deux tâches à réaliser, de front, dans un environnement changeant par nature.

Échanges entre pairs. « Je n’y arrive pas. Donc c’est culpabilisant. » Une culpabilisation insidieuse ?

Échanges entre pairs. « Est-ce que ça lui sert vraiment ? » La question du sens

Empêchements de travail et paradoxe

Ce qui doit être perçu par les collègues, c’est que les tâches liées à l’inclusion s’imposent en outre dans une situation générale déjà dégradée, source d’empêchements de travailler de multiples natures. L’empêchement dans le travail doit se comprendre comme la difficulté accrue, voire l’impossibilité, de réaliser son activité de manière pleinement satisfaisante aux yeux du professionnel du fait de moyens insuffisants ou inadaptés, d’un environnement impropre, de prescriptions déconnectées, etc. En fait, sur le terrain les personnels sont confrontés à une injonction paradoxale générale : améliorer l’accueil d’élèves à BEP dans un milieu scolaire qui est de moins en moins accueillant pour l’ensemble des élèves. Les classes sont plus chargées, les enseignants ont davantage de classes, les personnels sont accaparés par des tâches nouvelles (évaluations nouvelles de toutes sortes, réformes structurelles instables, changements récurrents, « autonomie » accrue des établissements…) qui réduisent leur disponibilité, ou les épuisent s’ils s’efforcent de la maintenir… Dans le même temps, le nombre d’élèves à besoins particuliers ne cesse d’augmenter et la diversité de leurs difficultés aussi. Or, le ministère, qui ne manque pas de présenter l’école inclusive comme une priorité nationale, se contente dans les faits de renvoyer à chacun le soin de résoudre seul ces paradoxes éprouvants. Le terrain est propice au mal-être voire à la souffrance.

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